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Valeur ajoutée, image... une reconquête Valeur ajoutée, image... une reconquête en marche

Plébiscités par les consommateurs, stimulés par la créativité de producteurs désireux d'aller chercher jusqu'au bout la valeur ajoutée, les circuits courts s'enracinent.

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Un producteur sur cinq vend en direct.

Près de 107.000 exploitants agricoles déclarent vendre en circuits courts, selon l'enquête publiée par Agreste (1) en janvier 2012. Un producteur français sur cinq est donc concerné.

C'est la première fois que cette question était directement posée aux agriculteurs. Une enquête du milieu des années 2005 les évaluait à 80.000. Les circuits courts gagnent du terrain.

Selon la définition du ministère de l'Agriculture, ils se caractérisent par un mode de commercialisation des produits agricoles : il s'agit soit de vente directe du producteur au consommateur, soit de vente indirecte, mais avec un seul intermédiaire.

La première crise de la vache folle avait réveillé l'intérêt pour ce mode de commercialisation. La crise économique a confirmé l'importance d'un circuit qui rassure les consommateurs et crée des emplois de proximité.

De Marginal à normal

La vente directe n'avait jamais complètement disparu. Herbe folle sur le bas-côté de l'autoroute tracée pour les productions dites « organisées », elle a toujours eu ses adeptes : maraîchers en proximité de villes, agriculteurs exploitants de petites surfaces ou productions minoritaires dans leur région, alternatifs rétifs au modèle d'alimentation soutenu par les supermarchés.

La flamme a toujours été entretenue par des organismes comme les Civam (Centres d'initiative pour valoriser l'agriculture et le milieu rural). Et l'agriculture biologique s'est aussi appuyée sur ce créneau pour se développer : 10 % des producteurs en vente directe disent être bio, 7 % l'envisagent.

Or il n' y a que 3 % de producteurs bio en France. Selon l'enquête d'Agreste, le produit fait le marchand : la moitié des producteurs de miel et des producteurs de légumes sont en circuit court. Ils sont un quart en fruits et en vin. En polyculture, ils ne dépassent pas 10 %, mais avec une pointe en élevage caprin et ovin.

D'une région à l'autre, d'une tradition à l'autre, l'ampleur de ce mode de vente varie (voir la carte ci-dessus). Le Sud-Est et l'Outre-mer sont en tête de gondole. Etonnamment, ce sont souvent des productions minoritaires dans leur région qui sont vendues en direct. En revanche, dans les régions fortement productrices, quand les agriculteurs livrent aux coopératives, ils empruntent moins cette voie. Les exploitations concernées sont également plus petites.

Des consommateurs avides

Enfin, les exploitants diversifient leurs circuits. La part de chiffre d'affaires réalisée en vente directe par les 110.000 exploitants recensés varie : pour quatre sur dix (hors viticulture), ce type de vente représente plus de trois quarts du chiffre d'affaires total, alors que trois sur dix n'y trouvent qu'un mode de distribution anecdotique.

Toujours selon Agreste, les exploitants concernés sont plus jeunes et utilisent davantage de main-d'oeuvre : là où les autres mobilisent 1,4 unité de travail annuel, ils montent à 2,2.

L'attente des consommateurs (2) ne semble pas encore comblée. Il faut dire qu'ils attribuent bien des vertus aux produits locaux : ils ont un « meilleur goût », « préservent le paysage, l'environnement ». Ils sont « plus naturels », « sans conservateurs, ni produits chimiques ».

Pour eux, ce mode de commercialisation entraîne « la création d'emplois locaux », « non délocalisables ». Et cet achat leur permet d'accomplir un « acte citoyen ». Les consommateurs attribuent un seul défaut aux produits locaux : leur prix plus élevé.

Dans tous les cas, ils veulent mettre un « visage derrière un produit ». Mais attention : selon des statistiques impitoyables, deux tiers des Français fréquentent très régulièrement les grandes surfaces, jugées pratiques, accessibles et moins chères.

Face à ces attentes au caractère par- fois contradictoire, parfois magique, les producteurs en vente directe répondent présent. Même si la demande semble largement inférieure au cumul des demandes. « Le consommateur achète, en plus du produit local, du développement durable, de l'appartenance à un territoire. En bref, de l'identité. »

Pascale Thomasson est agricultrice en Haute-Savoie, dans un Gaec de cinq associés qui emploie deux salariés. Le quota est de 600.000 kg de lait transformé en comté. Le Gaec se charge en plus de la vente directe, à la ferme, de 40.000 kg transformés en tommes et fromage blanc. Il propose aussi des viandes.

L'éleveuse analyse : « Ces activités créent de l'emploi de proximité. Sans elles, nous ne serions pas sept sur l'exploitation, mais trois. Cela ne représente pas de gros volumes, mais nous allons chercher la valeur ajoutée jusqu'au bout. Ce n'est plus une niche en termes de revenu. »

Image valorisante

Mais elle sait que la grande distribution a également flairé la bonne affaire. En tant que responsable des collectifs de vente et des nouveaux concepts du réseau Bienvenue à la ferme, elle prend position : « Pour ne pas regarder passer les trains, nous devons agir en collectif, nous identifier, avoir un cahier des charges qui apporte des garanties réelles aux consommateurs. »

La petite fleur symbole du réseau devrait sortir ce printemps des cours d'exploitation pour venir s'apposer sur les marchés de producteurs de pays et bientôt sur les magasins de producteurs volontaires. « Cela nous permettra de garantir aux consommateurs que ce sont bien des producteurs qui sont derrière les étals. »

Les responsables professionnels veulent que les producteurs maîtrisent ce marché en croissance. Les consommateurs veulent que les producteurs soient derrière les étals. Attention cependant de ne pas donner raison au dicton : trois métiers, trois misères.

Jacques Mathé (lire l'interview ci-dessous) rappelle qu'il faudra savoir déléguer tout en gardant la main sur la commercialisation. Laurent Remilleux, de la chambre régionale du Rhône-Alpes, met aussi en garde : « Les collectivités territoriales nous sollicitent beaucoup, mais on ne répond qu'à 10 % des sollicitations. Car il faut que les producteurs réalisent un certain chiffre d'affaires pour passer une matinée ou une journée sur un marché. Ils ne viennent pas que pour animer le centre du village. »

La clientèle continue de croître, les producteurs se professionnalisent, les revenus dégagés justifient la peine qu'ils se donnent. L'agriculture tout entière bénéficie de cette image valorisante.

Au même titre que les visites « portes ouvertes » donnent de bons résultats sur l'opinion, la vente directe garantit aux agriculteurs une visibilité et une incarnation de leur métier. Cette attente crée aussi des obligations, dont celle de ne pas décevoir.

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(1) Agreste primeur, de Catherine Barry, janvier 2012. (2) Carnets de Liproco n° 6, étude de Métro, étude Terre d'envies. Veiller à gagner sa vie sans crouler sous le travail

 

Expert : JACQUES MATHÉ, économiste à CER France, professeur à l'Université de Poitiers

 

« Des relations, d'abord, et très vite de la marge ! »

« Tous ceux qui réussissent sont allés voir ailleurs, loin ou chez le voisin. Avant de se lancer, mieux vaut être curieux, regarder, attraper un coup de main pour faire le bon produit au bon endroit pour le bon client. »

« Le bon dimensionnement de l'entreprise conditionne la réussite. Attention à ne pas avoir des coûts ajoutés et non de la valeur ajoutée. Investir beaucoup oblige à faire très vite une marge bénéficiaire. En circuits courts, le retour sur investissement doit être immédiat. Les producteurs sont habitués en agriculture à mobiliser de lourds capitaux avec un retour lent en revenu et en capital. Mais si on sous-dimensionne, comme c'est souvent le cas des Amap, on multiplie les tâches sans avoir de revenu. Mieux vaut donc anticiper et tisser des relations commerciales avant même de commencer à investir.

C'est le rôle du business-plan. Le producteur s'interroge sur la façon dont il va s'y prendre, avec qui il va travailler. Un professeur canadien me disait : « En circuit court, si tu ne sais pas où tu vas, tu es sûr d'arriver ailleurs. » « Celui qui se lance ne peut pas tout faire. Il peut déléguer la transformation s'il n'a pas le volume qui justifie un investissement, ou pas le temps, ou pas la compétence. En revanche, le commercial ne se délègue pas. Le consommateur vient pour voir la tête du producteur. Et la mise en scène des lieux de vente doit renvoyer à la ferme.

Les clients se déplacent pour une gamme large de produits. On n'est plus au temps des militants convaincus. Ils n'aiment pas non plus les ruptures de stock. Mais il faut quand même se poser la question du jusqu'où ne pas aller trop loin dans les méthodes de vente : le libre-service se dose, tout comme le sous-vide. Le contact, le plaisir du partage, la mise en scène de la proximité avec le producteur sont aussi indispensables qu'ils doivent être sincères.

Ces circuits peuvent dégager des revenus, même de très bons revenus. Mais un éleveur des Deux-Sèvres témoignait : c'est à la fois les travaux d'Hercule et le royaume des astucieux. La masse de travail n'est pas tenable dans le temps, donc il faut pouvoir déléguer. Et mieux vaut être des Géo Trouvetout car il n'y a pas de modèles et souvent il faut inventer ou adapter les outils qui faciliteront le travail. »

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(1) Jacques Mathé est coauteur avec Helène Raymond du livre « Une agriculture qui goûte autrement », collection « Campagne et compagnie ».

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